Her de Spike Jonze est un film extrêmement riche et pertinent sur notre époque, notre dépendance aux technologies, cette impression de fluidité de la machine qui s’oppose à la complexité des rapports humains, la difficulté de l’engagement quand de nouvelles rencontres sont à portée de clic, la solitude des villes où chacun parle à son portable plutôt qu’à son voisin.
Le film est à peine une science-fiction, combien sommes-nous à être amoureux de notre smartphone, à le trouver beau, à le choyer, à paniquer quand il est introuvable ou à vérifier plusieurs fois par jour s’il a un message pour nous? Et pourtant, certaines choses sont universelles, vouloir aimer et être aimé, se réjouir d’autant plus du soleil ou de la neige sur son visage qu’on peut partager ces sensations avec quelqu’un, le film exprime tout cela avec beaucoup de sensibilité.
Il faudrait des heures pour développer tous ses aspects mais je retiens un élément qui apparaît dès le début du film : le personnage principal est un écrivain public de l’ère digitale, il écrit des lettres d’amour ou de félicitation pour ses clients qui n’ont pas le temps ou le talent de le faire eux-mêmes (évidemment, Theodore est plus doué pour traduire les sentiments des autres que pour exprimer les siens à d’autres êtres humains). A aucun moment on ne le voit écrire à la main, plus personne ne le fait dans ce futur proche, il dicte les lettres à un logiciel de reconnaissance vocale et les imprime ensuite dans une typographie manuscrite personnalisée.
Peut-être que ce service existera un jour. La sophistication de la technique intègrera certainement à l’avenir des dimensions psychologiques qui permettront aux logiciels ou aux applications de s’adapter à la personnalité de leur utilisateur. Nul doute que Google ou Facebook font des recherches dans ce sens et que leurs programmeurs de choc devront aussi intégrer des connaissances en sciences humaines.
Reste que recevoir une vraie lettre rédigée avec soin dans le fond comme dans la forme est un plaisir d’autant plus précieux qu’il se fait rare à l’heure des SMS, messageries instantanées, tweets en 140 caractères et Post-it sur le frigo. Anniversaire, mariage, naissance, deuil, nouveau job, remerciement après une invitation ou déclaration d’amour, autant d’occasions qui méritent plus d’attention qu’un message sur Facebook. A l’heure du scrapbooking et des loisirs créatifs, l’art de la lettre peut devenir un vrai talent anachronique. Le simple fait de s’assoir pour réfléchir à ses tournures de phrase, sans la facilité de pouvoir effacer ou copier-coller, induit une qualité du message différente. Les commémorations de la Première guerre mondiale mettent à l’honneur les émouvantes lettres de Poilus. Les correspondances d’écrivains sont un genre littéraire en soi et les échanges entre François Truffaut et Jean-Luc Godard sont d’une vérité cinglante implacable. Un journaliste anglais du Guardian vient d’écrire un essai sur le sujet, To The Letter.

Et cela vaut aussi dans les rapports professionnels. J’en parlais récemment avec une attachée de presse qui soulignait combien le fait de recevoir un mot manuscrit est l’apanage des marques de luxe. Les e-mailings, les sollicitations téléphoniques sont une plaie mais remercier personnellement un client par un bristol glissé dans une enveloppe est une attention qui ne s’oublie pas. Apparemment Jo Malone le fait après chaque achat en boutique et bien des marques qui se veulent haut de gamme pourraient s’en inspirer.